Dialogue Précontraint

« Le viaduc de Millau est un pont à haubans franchissant la vallée du Tarn, dans le département de l’Aveyron, en France. Portant l’autoroute A75, il assure la jonction entre le causse Rouge et le causse du Larzac en franchissant une brèche de 2 460 mètres de longueur et de 343 mètres de profondeur au point le plus haut, dans un panorama de grande qualité et avec des vents susceptibles de souffler à plus de 200 km/h. »

Source : Wikipédia

Une discussion dans un mariage en Algérie entre les sages de la famille, je m’insinue entre eux, je me prenais pour un grand moi aussi, fraichement diplômé de l’université en génie civil option voies et ouvrages d’arts, je pensais enfin avoir gagné ma place parmi eux.

Les sages, avaient tous regardé, la veille, un documentaire sur le magnifique viaduc de Millau, un bijou technologique, un ouvrage d’art qui a poussé les ingénieurs à relever des défis techniques inédits. Les sages répétaient donc chacun à son tour ce qu’ils avaient retenu du fameux documentaire.

Pendant toute la discussion, j’ai essayé de placer une phrase, un mot, une syllabe pour apporter un éclaircissement technique sur tel ou tel élément, en vain.

On n’explique pas à plus âgé que soi, on ne le corrige pas, cela ne se fait pas dans notre société si soucieuse de garder ce respect entre générations. Ce respect s’apparente plus à un fossé qu’à autre chose. J’aurais dû m’en douter pourtant, toute mon enfance j’ai entendu le fameux « ne cherche pas à comprendre », j’étais vraiment naïf de penser que cela aurait changé, Certes j’avais grandi, mais eux aussi. Le temps a la même emprise sur tout le monde

A la maison d’abord, il ne fallait surtout pas poser les questions gênantes, ambiguës ou bizarres que seul un enfant peut poser. Comme toute réponse on avait la fameuse phrase à laquelle on ajoutait parfois une autre toute aussi culte, « tu comprendras une fois grand ». D’ailleurs, ces phrases se transforment par un tacite accord et en présence d’étrangers, en un regard. Le fameux regard qui tue, qui vous glace et qui vous pétrifie sur place. Il répond à toutes les questions, en une fraction de seconde.

A l’école ensuite, lieu de connaissance par excellence, il ne fallait pas poser une question en dehors du programme scolaire, à mon époque le fameux « ne cherche pas à comprendre » était assorti de quelques coups de règles bien placés sur le bout des doigts rassemblés en cône inversé. Cela était censé nous apprendre à ne poser que les questions pour lesquelles le professeur avait une réponse. J’ai souvent été puni de ma curiosité.

L’image du professeur omniscient et bienveillant s’effritait un peu plus à chaque coup reçu et au dernier, elle s’évaporait pour toujours.

A l’université, ce n’était guère mieux, on a compris le premier jour qu’il ne fallait pas trop chercher à comprendre. Nous étions pratiquement abandonnés à nous-mêmes et beaucoup de professeurs étaient là sans être là, ils n’interagissaient pas avec l’auditoire. C’était à nous de trouver les réponses à nos questions. Il fallait chercher à comprendre, mais ailleurs, seul. Ce n’était pas plus mal.

Au travail, la hiérarchie verticale était encore plus stricte qu’ailleurs. Poser une question en dehors de sa fiche de poste, à son supérieur, était très mal perçu. Il prenait la question pour de l’ingérence et il vous gratifiait de la même réponse facile en y ajoutant une autre toute aussi fameuse dans le monde du travail « Tu ne voudrais pas ma place, toi ? »

Il fallait comprendre qu’il ne faut pas trop comprendre ou du moins, apprendre à feindre ne pas tout comprendre.

A la mosquée enfin, le pire endroit de tous où poser des questions, chaque réponse apporte une nouvelle incohérence qui apporte une nouvelle question, à l’infini. Ça finissait presque toujours par la sempiternelle « ne cherche pas à comprendre » à laquelle on ajoute un peu de terreur, pour bien nous motiver « sinon tu deviendras athée et tu iras en enfer ! ».

J’ai toujours pensé et continue de croire qu’il suffit d’une seule et unique bonne action pour mériter le paradis.

Chez ces gens-là, qui ont fait de la religion un métier, philosopher est l’apanage des ânes et le savant n’est pas celui qui fait avancer l’humanité vers un futur inéluctable mais celui qui nous ramène continuellement vers un passé révolu et qui n’a jamais vraiment existé.

Un ami m’a dit un jour que Dieu n’est pas le seul créateur. Il affirmait que l’Homme pouvait aussi être un créateur en faisant d’un enfant soit un être bon et équilibré, soit un être perdu ne se donnant aucune valeur. Et cette création ne se faisait rien qu’en adressant à l’enfant des compliments et des éloges soit en l’accablant de tous les sobriquets jusqu’à ce qu’il finisse vraiment par croire qu’il n’est qu’un usurpateur et qu’il ne mérite même pas sa place sur terre parmi les vivants.

La difference entre les pays qui inculquent le « ne cherche pas à comprendre » et ceux qui, dès la maternelle demandent « et toi que ce que tu en penses ? », « quel est ton avis ? » et « si on y réfléchissait ensemble ? » n’est pas à démontrer. Ces derniers construisent des ouvrages d’art époustouflants et nous on en parle.

2 réflexions sur “Dialogue Précontraint”

  1. Et heureusement que des personnes comme toi existent, des personnes qui cherchent le pourquoi du comment et qui vont au bout de leur raisonnement. Ça leur a permis de partir à la conquête d’une autre planète et de bâtir les édifices de l’impossible,tellement incroyables que même leurs descendants en seront perplexes. Bravo pour ce bijou de literature !

Les commentaires sont fermés.